Décès de Geneviève Chatouillot (1945 - 2018)
C'est avec une immense tristesse que Les Trois Ourses ont appris le décès de Geneviève Chatouillot, présidente de l'association de 2004 à 2014.
Pour chacun de nous (adhérents, bénévoles, salariés, artistes, ...), les mots nous manquent ... nos réactions silencieuses et profondes révèlent à quel point Geneviève Chatouillot avait une place particulière.
Voici un texte de Philippe-Jean Catinchi pour le journal Le Monde présentant et rendant hommage à cette grande dame.
Merci Geneviève, tendrement ...
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Le Monde 11/01/2019
Membre de l’association les Trois Ourses dont elle assura la présidence, Geneviève Chatouillot est morte à Lyon le 27 décembre 2018 à l’âge de 73 ans. Issue d’une famille bourgeoise lyonnaise autrefois aisée où l’élégance corsetée est de rigueur, la petite Geneviève grandit dans un milieu très vivant (six filles et deux garçons) où l’art et la culture vont de soi, même si la réserve apportée à toute chose bride un peu la jeune fille fantasque et sensible, vulnérable malgré le vernis que les conventions commandent.
Très tôt, elle est attirée par la musique, joue et compose au piano. Grande lectrice, comme tous les siens, elle entreprend une licence de lettres quand la mort brutale de son père, lors d’un accident en Italie, la bouleverse. Elle a 19 ans. Elle sera désormais en marge, sans rien abdiquer de ses curiosités et de ses élans créateurs, mais rétive aux expositions superflues. Elle œuvre avec d’autres, pour les autres.
Son ouverture d’esprit et sa vivacité la conduisent à suivre le collectif de musique expérimentale lyonnais qui partage sa passion pour Pierre Schaeffer (1910-1995), Pierre Henry (1927-2017) ou György Ligeti (1923-2006), et à devenir membre du Conseil d’administration du Grame, centre national de création musicale, dès sa fondation, en 1982.
Mais c’est le livre qui devient très vite le terrain premier de son engagement éthique autant qu’artistique. Bibliothécaire, elle défend ce support capital de transmission, refuse sa sacralisation qui le momifie. Avec elle, le livre se caresse, se met en bouche, circule de main en main, vit ; et modifie même les codes du commentaire, plus jamais docte ou compassé. Ses nombreuses recensions critiques dans La Revue des livres pour enfants en attestent.
Un ton singulier
En 2006, Sophie Van der Linden, qui codirige un ouvrage collectif sur les Images des livres pour la jeunesse (éd. Thierry Magnier), la sollicite pour une contribution sur la photographe américaine Tana Hoban (1917-2006), dont Geneviève Chatouillot connaissait admirablement le travail. Elle se souvient du choc que fut pour elle la réception de l’article : « Elle ne se plaçait pas à l’extérieur de son sujet, pas plus qu’en proximité ou en intimité avec l’artiste. Elle était dans l’œuvre, littéralement. Et son article prenait alors des libertés – des ruptures de ton, de rythme – que je n’avais alors jamais rencontrées dans un texte critique. »
Rien d’étonnant en fait à ce que le ton soit singulier. Avant de théoriser ou de synthétiser la vision de l’artiste, Geneviève Chatouillot l’avait éprouvée, partagée avec le jeune public, bibliothécaire conteuse capable d’animer – au sens premier : « douer de vie et d’âme » – une création avec une vivacité contagieuse. D’où la sottise de ceux qui prétendraient ses choix élitistes quand ils n’étaient qu’audacieux et parfaitement offerts en partage à tous – Geneviève Chatouillot a fait ses armes de bibliothécaire à Bron (Rhône), puis à la bibliothèque de La Joie par les livres, à Clamart (Hauts-de-Seine).
Mais l’engagement de Geneviève Chatouillot est d’abord la foi dans le collectif. Avec l’association des Trois Ourses, née en 1988 et dont la clôture hélas est annoncée pour ce printemps, elle n’a cessé de mettre en œuvre, de livres en ateliers et rencontres, un credo lumineux : « La stimulation précoce de l’imagination des tout-petits, le maintien de leur capacité d’émerveillement vont leur permettre, la vie durant, d’entretenir un dialogue intime, singulier et constructif avec le monde qui les entoure. »
Extravagance
Avec Odile Belkeddar, Elisabeth Lortic et Annie Mirabel donc, elle va aider dès 1992 à la diffusion des œuvres de Bruno Munari, Enzo Mari et Tana Hoban, mais aussi imposer de jeunes créateurs qui bousculent par leur capacité d’innovation : Katsumi Komagata, Ianna Andréadis, Sophie Curtil, plus tard Paul Cox, Marion Bataille, qui ouvrent la voie, par cette promotion aussi joyeuse et dynamique que rigoureuse et sensible, aux « jeunes pousses » que sont Lucie Félix et Fanette Mellier ou Bastien Contraire…
Fine, curieuse et singulière, bienveillante aussi, Geneviève Chatouillot masquait une sensibilité à fleur de peau par un humour et une extravagance toujours prête à se dévoiler qui se lisent dans tous les choix esthétiques et éthiques qu’elle a prônés.
Geneviève Chatouillot en quelques dates
24 février 1945 Naissance à Lyon
1982 Membre du CA de Grame à Lyon
1992 Adhère à l’Association des Trois Ourses
2004-2014 Présidente des Trois Ourses
27 décembre 2018 Morte à Lyon
Philippe-Jean Catinchi